En ce monde de souffrance, une guerre fait rage.
Des circonstances l’aggravent : plus aucune règle ne l’encadre. Dans la mêlée générale, sans coups ni heurt, on nous attaque! Depuis l’imperceptible monde des idées, une bête géante infeste nos esprits : confusion, passions et perversions rythment nos désirs. Porcs nous sommes! Sédentaires, domestiques, nous nous goinfrons les gueules béantes. Les rêves d’abondance et de prospérité nous engraissent, nous organisent. De jour comme de nuit courrons-nous toujours plus vite, en dépit de la dangereuse puanteur de nos souillures. Suivant des lois en apparence immuables, nous nous émoussons les sens à force de les satisfaire. Asservis de l’élevage à l’abattoir, bien nourris nous nous reproduisons, dans l’ignorance et le déni.
Le conflit s’intériorise où s’érigent des vallées de murs où machineries et enclos oppressent les peuplades désormais aveugles et cyniques. Ne se perçoivent plus qu’ombres floues et cristaux liquides. En cette lutte pour gagner cœurs et esprits, à la fois les pouvoirs se concentrent et les forces se dispersent. Les désirs s’affirment mais les volontés fléchissent. Les lois s’endurcissent quoique les mœurs se dérèglent. Le savoir se raréfie, pourtant les connaissances se multiplient.
En tant que gardiens des mentalités, professionnels de l’esprit et du divertissement répriment les hérésies, asservissent les insoumis, contrôlent rebelles et insurgés. Des stratégies s’appliquent. On dissuade, persuade, séduit, inspire sentiments, pensées, comportements. Une bureaucratie omniprésente gère et normalise les masses, les déshumanise, de procédés informatiques en contrôles sécuritaires.
Dans une collective détresse, mutants et surhommes rêvent… de bonheur, de liberté, de pouvoir, d’argent. Victimes des modes sur-tatoués, barbus sur-dimensionnés et autres sur-humains aux oreilles élastiques côtoient ex-soldats virtuoses, guérilleros de la rue et buveurs gargantuesques. Par leurs blessures trop visibles ces souffre-douleurs serviront de bouc-émissaires aux agressions du système.
Le Sampridivickh s’en réchappe à peine :
« Mes yeux s’effacent, ma peau se déplace, j’en perds la face. Heureusement, le ridicule ne tue pas : je brille d’innombrables couleurs.
Par bonheur j’arrive encore à m’exprimer. Par le magnétisme sonique de mes cheveux en soie de porc se transmettent d’importants messages. Et dans le silence, à tous azimuts se prononcent les mots éclair…
On m’injurie, me dénigre, me calomnie : je provoquerais malheur, maladie et mort. Sacrificateur de porcs, mes adversaires me désignent en traître. Mis en quarantaine depuis des siècles, je maudis mon éternelle nuit. Proscrit, aujourd’hui, le moindre signe de vie me réconforte. Mon corps en flamboie de noirceur. Tel une éclipse, lumières et couleurs jaillissent de mes rides et lésions. Et mon sourire brille de mille feux. Mon regard réflète la lune. Je porte le venin des serpents mystiques. J’en immobilise mes rares interlocuteurs. D’une force d’intellect sans égale, je défends jalousement un savoir intemporel, difficilement obtenu, d’indéniables pouvoirs.
Je déclare vouloir continuer de me battre, avec mes propres armes.
Et lorsque je franchirai le pont céleste, les traces de mes combats rappelleront mon sacrifice…
jusque dans les ruines de nos civilisations déchues. »