AqRjectel

Aliénons l’enfant.
Excluons-le de toute société, rangeons-le au ban de l’humanité.
Laissons-le croître sans guide, dans la pénombre, sans chaleur ni douceur.
Enterrons-le dans un désert éloigné. Devant ses interrogations, nous nous tairons. Dans cette initiation, nous le jugerons. Nous le nourrirons d’angoisses. Nous le déracinerons, l’étranglerons, jusqu’à le pendre! Dans le supplice que sera sa vie, le moindre brin de lumière brillera tel un soleil.

Ensuite le forcerons-nous à naître. Nous lui enseignerons médiocrité et platitude, nous le casserons de toutes parts. Surtout, de ses peines jamais nous ne le soulagerons. D’une enfance sans valeur, inaperçue, le moucheron échouera de crainte, de ne pas « être avec », dans la panique des laissés pour compte. Bientôt le rejeton banni se cachera, puant de moisissure sociale. Plus personne ne lui accordera égards, respect ou attention. Selon des lois et règlements sans fondement, tous l’ignoreront, l’oublieront. Seul portera-t-il sa croix, ce portrait-ébauche de lui-même. L’enfant incarnera misère et faiblesse. Nous couvrirons ce pitoyable du bonnet réservé aux cancres, aux « moins que rien ». Cette charge le contraindra à satisfaire ses ennemis, à faire fi de leur vanité, à considérer leur grandeur, leur beauté, leurs joies, sans aucun ressentiment. Dans sa confusion, sa personne, son corps, son âme même l’encombreront de honte.

Or en permanence l’Aqrjectel lui parlera, s’imprimera dans ses rêves, ses pensées…

« Vulnérable, l’insécurité te paralyse, t’atrophie, empêche tes décisions, te désoriente, efface tes repères. Pour les juges du monde d’antan, adultes responsables bien-pensants et vertueux, collègues et comparses, « vivre » comme toi semblera faux, sans bon sens, relatif à la perdition et l’échec d’une vie. De tes écrits trop denses, de ton art si obscur, de tes mélodies distordues et tes accords dissonants ne subsisteront que poussières sans substance. Mais qui donc pourrait t’entendre ou te comprendre? Malgré leurs masques et refoulements, tous subissent, peut-être sans le savoir, la même et infâme solitude. Nombreux sont ceux qui souffrent de l’absence de l’Autre, du vide intime et du cloisonnement. Or personne n’ose le dire.

De crises nerveuses en pertes d’esprit, va le plus vite possible. Accélère, dépêche-toi! Fais fi des situations, des gens, des contextes, de ce que tu crois être ou vouloir. Respire, pour une fois! Ne t’écoute plus, expérimente, malgré tes troubles et les présences autres. En respect de tes répulsions primales, de ton ignorance animale, cherche à toucher, à sentir, te raccrocher : à quelqu’un, à quelque chose, quelque part. Que par ton regard fusent les caresses. Sinon encore je te pourfendrai de mes poignards éthériques comme autant d’agressions vaporeuses. De toute façon, tristesse, tensions et empoisonnements te bousculeront sans répit, des années durant. Et tous se moqueront de tes souffrances, de tes colères, de ta rage. Acculé hors du monde, toujours fréquenteras-tu le tourment, revivant sans cesse relations sans amitié, rencontres décevantes et amours imaginaires. Tes corps et visages s’en mouleront. Jamais plus tu ne seras « comme les autres ».

Aux côtés de frères cryogénisés, de parents lunatiques, d’oncles décrépits, tous en mépris d’eux-mêmes, personne ne s’occupera à toi! Dans le rôle du fantôme, de l’apparition, de l’acteur figurant de second plan, tu écriras, réfléchiras, communiqueras et partageras tes tripes en souriant, à l’insu de tous. Pendant ce temps, reçois, subis, apprend.

Comprend à quel point ces souffrances te gratifient, même si ton existence leur semble sans valeur. Prends conscience de la vitesse à laquelle vos vies se déroulent qui, sans interruption s’enchaînent en d’inimaginables multitudes, les naissances…
Parmi les cris, tes plaintes, vaines, faibles et sans vigueur, ne disent rien, à personne. Quand cesseras-tu?

Et quelle suite pour cet ordre des choses? Un cercle sans fin :
Vouloir plus et souffrir : ne jamais « rien » obtenir. Avidité infinie, attachement au rien, fuite par imagination : boucle sans fin. Névrose en éboulements…

Ne m’oublie plus, libère-toi! Donne sans compter, dépare-toi! De toute façon, pour eux, pour tous, pour toi, tu n’es que néant, vide, un rien total. »

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