Je ne sais encore quelle forme exactement prendra le deuxième livre du Dæmondala mais encore j’écris en fonction de mes dessins. Voici donc un nouveau témoignage, celui de l’infatigable Chimpotorck.
Le regard du Chimpotorck scintille, retentissant, sympathique, gigantesque. Toutefois, une subtile gêne caresse son sourire. Derrière son front en fêlures se meut un engin de fonte de chair et de plomb. Ce mécanisme produit de denses volutes, qui s’entremêlent en de subtiles présences, bande de boucanes et peuples de gaz cérébraux. Ainsi cousus de verbes et rêveries, son corps et son discours, incohérents, ne se perçoivent qu’en cafouillages et tumultes, marques d’un doute permanent.
Tacite, cet embarras paralyse le Chimpotorck tant sa présence faible, étourdie, s’embrase de contrariétés. Ainsi personne n’aime le Chimpotorck, sauf exception. Bel esprit infatué d’absurdités, d’hypothèses et d’illusions, on tolère mal les traits torves de son visage émasculé. Insuffisances et fléchissements, dissensions et contradictions y engendraient naguère les jaunes grisailles d’une vieillesse précoce, luisante d’improbables difformités. Toutefois, au nom d’une intarissable motivation, le Chimpotorck assume tant bien que mal sa disgrâce.
Au fond le Chimpotorck cherche, entre tourments et révélations, une affection sans définition, un amour sans nom. Cette quête, impossible, le plonge en des gouffres de plaisirs et souffrances, d’abandons, d’absorptions, de rejets et d’adoptions, sans fond. Inspirations sans condition, déficits d’attentions encore forcent son sourire, toujours ouvrent ses yeux. Tant de visions l’habitent!
Depuis les nuits noires d’un cauchemar sans commencement ni fin, se multiplient en l’être gris des légions d’amis imaginaires aux voix distordues. Hallucinations? Plutôt, manifestations de brusques émotions en peaux diaphanes, contemplations intimes qui s’exaltent, floues, affectées. Contrefaçons de sentiments, hantises virevoltantes, objectifs frénétiques et vénérations solitaires circulent en son sein. En conséquence, rien de plus concret pour le Chimpotorck que les objets mouvants de son imagination, raisons d’être d’un irrémédiable assujettissement.
Sous les crinières et barbes de pensées perpétuelles, le Chimpotorck peine à définir l’objet réel de ses recherches. L’usure de ses couleurs fades dénonce ce processus sans fin : un moteur stimule le Chimpotorck à même les entrailles de sa peau en couperose, jusqu’à sa gorge tachetée. Troubles incessants, immuable dérèglement.
…et le moteur du Chimpotork s’emballe! Et, sur ce crâne mou au visage d’oubli se superposent par centaines âmes, mânes, ectoplasmes. L’accumulation à l’excès de ces présences ne rapporte que fardeaux et étourdissements. Ainsi les traits se repassent, les nœuds se nouent et se dénouent. Efforts en ratures et effaçures, retouches sans clarté et gestes sans calcul s’ajoutent, s’excluent, reviennent, sans parvenir à s’assouvir ni s’idéaliser. Ne subsiste de ces efforts qu’un tas de barbeaux, le Chimpotorck.
« Par politesse, on me dit : « Reste comme ça, surtout ne change pas. » Mais comblerai-je un jour mes inassouvissables besoins? J’arrive à peine à m’exprimer : une courroie traverse ma bouche tordue. Les mots tardent, se culbutent entre traits décousus et lignes insolites. Mon regard s’embue, tel le cours opaque de mes pensées. À défaut de rigoler, je m’encrasserai… en toute quiétude, selon ma destinée estropiée.
Mais, à force de chercher sans me réfréner, j’aurai tout raté, tout gâché. Et le moteur – ma conscience – continuera de tourner… à consulter le tourment.
Bonheur, amour, affection… Bonheur, amour, affection…»
Sacré Chimpotrock!